Laurent René Rio

Les revenus d'un site Web


Deux ans se sont écoulés depuis la rédaction du premier article dédié au sujet des revenus du Web. A une petite exception près, la tendance au nivellement des revenus du Web sur ceux des pays du tiers-monde s'est empirée. Un site qui nécessitait, il y a 2 ans, entre 1 et 2 millions de visiteurs mensuels pour financer un malheureux SMIC en requiert désormais plus de 3 millions. Et, crise économique oblige, cette tendance devrait encore s'empirer.

Les sponsors du Web

La seule bonne nouvelle de l'année écoulée provient du premier annonceur du Web. elgooG a nettement amélioré ses performances pour atteindre un niveau que l'on peut qualifier d'acceptable. Le taux de clic (CTR) sur ses annonces demeure inchangé à 1,5% des visiteurs. Mais les revenus résultants ont doublé pour s'établir à 0,0028 euros par visiteur. Tous les domaines observés pour cet annonceur se sont simultannément redressés à partir d'août 2008.

Malheureusement les revenus générés par les autres sponsors ont été divisés par 3 dans le même temps. Parmi les plus mauvais, on trouve les plus connus: La remarque suivante tirée du forum de l'un d'entre eux illustre parfaitement le mépris des sponsors à l'encontre de leurs affiliés qui sont pourtant, et cela mérite de s'y arrêter, leurs apporteurs d'affaires principaux et par conséquent leurs meilleurs clients.

Post N° 247.14 de l'animateur du forum qui répond à la remarque qu'un taux de transformation de 0,3% sur du trafic préqualifié (ayant cliqué sur une icône "Envoyer au panier") est un dysfonctionnement auquel il faut remédier.

Le système capitaliste tu connais? On fait bosser les autres en les payant peu et on empoche la plus grande marge. C'est clair que si ton visiteur coûte plus cher à Nozama en passant par ton site qu'en faisant une belle pub via gogol et cie à 15 cts le clic, quel est l'intérêt pour Nozama ?

Bien entendu, les arguments de cet animateur de forum sont fallacieux. Le taux de transformation en question ne concerne que les internautes qui ont manifesté leur intérêt pour le produit sur le site affilié en cliquant sur une icône "Envoyer au panier". L'affilié est donc en droit d'attendre un taux de transformation très nettement supérieur à 25% au lieu des 0,3% déclarés par son sponsor. Par ailleurs, Nozama n'a pas vocation à détourner le trafic des sites thématiques et ne saurait s'attirer le traffic de ses affiliés par le seul biais d'une "belle pub sur gogol".

Prenons justement Nozama comme cas d'étude, premier magasin grand public du Web. Il y a deux ans, ce sponsor proposait à ses affiliés 10% de commissions sur ventes, ce que l'on pouvait qualifier de "normal". Il poussait ses affiliés à entreprendre à leur charge des développements d'applications pour commercialiser ses produits. Une fois les lourds investissements en développements des affiliés entamés, mais non finalisés, Nozama a unilatéralement ramené son taux de commissions de 10 à 5%, plafonné les montants reversés à 10 euros par vente, dégradé ses termes et conditions de collaboration et annoncé son intention de facturer les informations qu'il transmettait sur ses produits ! Face au tollé général, Nozama a reculé sur cette dernière question. Mais il paie ses affiliés au lance-pierre et à 90 jours ou plus une commission réduite de 10 à 5% plafonnée à 10 euros. Il a introduit toutes sortes de restrictions qui empêchent les applications des affiliés de fonctionner normalement, les obligeant à réinvestir en développements coûteux. Et souvent il ne les paie pas dutout comme en témoignent de nombreux intervenants sur son forum.

(Au 01/08/2009, le taux des commissions a encore baissé de 1%, avec 1 mois de préavis, sans négociation ni regard à l'ancienneté des affiliés.)

N° 354.1
Bonjour,
Je suis Partenaire Nozama depuis de nombreuses années et tout a toujours très bien marché jusqu'au mois d'août de cette année (2008).
Depuis fin août, et bien que je continue à adresser mes factures comme je l'ai toujours fait et que je reçoive bien les accusés de réception, plus aucun paiement ne me parvient.
J'ai évidemment contacté Nozama par mail qui ne m'a fourni pour l'instant que des réponses "robotisées" et n'a toujours pas résolu le problème.
Suis-je seul dans ce cas ?

N° 311.5 en réponse à 311.3
jamais paye pour notre part....lire le message que je viens de poster sur le forum.
Heuresement qu'il y a des concurrents qui eux, payent rubis sur l'ongle.
Ava

N° 339.3 en réponse à 339.1
Oui, nous avons de grandes difficultés à être payé. Plus d'un an d'arriéré alors qu'il n'y a aucun litige avec Nozama. Notre boutique fonctionne bien.
Je ne comprends pas ce qui se passe. Je pense sérieusement à fermer boutique si cela perdure.

nous aussi, nous n'avons jamais ete payes....depuis 1 an! et 15 emails!

Et si on se mettait à plusieurs, pour déposer une plainte pénale à l'encontre d'Nozama? Car manifestement, ce programme d'affiliation est une escroquerie.

...etc. Et il y en a des dizains de pages ininterrompues.

Pour ma part je n'ai jamais reçu, après 2 années, un seul centime de Nozama malgré des centaines d'euros gagnés, pas plus que pour les millions d'internautes référés par mes sites. Cette déception gigantesque s'étend à des centaines d'affiliés.

La performance de ce revendeur, mesurée par son taux de transformation, est la plus faible de l'ensemble des sponsors observés. Elle s'établit en moyenne à une vente de 30 euros pour 10 000 visiteurs. A raison de 5% de commission sur vente, cela donne un royal 0,00015 euros par visiteur en moyenne. Pour bien comprendre ce que cela signifie, rendez-vous compte qu'il faudrait, à ce rythme, 12,5 millions de visiteurs mensuels pour financer un SMIC (1250 euros + 50% de provisions pour charges divisés par 0,00015). Mais il est tout à fait impensable de générer 12,5 millions de visiteurs avec moins de 5 personnes hyper-qualifiées à temps plein et sans l'appui d'une campagne de publicité massive.

Forum Nozama n°346.1
bonjour,
je suis membre depuis 3 ans, et je n'ai pas eu une commande!
me demande si mes liens marchent...?!Comment savoir?
Souvent, je mets le lien pour un article précis, mais on ne le voit pas sur mon post...
Des conseils à me donner?
merci!!

( Bien entendu, tous les affiliés de ce sponsor sont dans le même cas puisque 99% des ventes sont sabotées lorsque Nozama entre en jeu )

Nozama est tout à fait conscient de son exécrable performance et il devient suspicieux lorsque ses affiliés prospèrent. Après plusieurs années de travail, l'un de mes sites a commencé à générer des dizaines de ventes par jour. En réponse, Nozama s'est empressé de fermer mon compte sans apporter la moindre explication. Ceci est intervenu en pleine période des ventes de Noël. Voici un extrait de leur email :

Mail du Service de Gestion des comptes de Nozama faisant suite à la fermeture abusive de mon compte le 03/12/2008

J'ai lancé des recherches auprès du service en charge de la gestion des comptes partenaires afin de mieux comprendre votre situation.
Je reprendrai contact avec vous au plus tard le Samedi 13 décembre, pour vous informer de l'avancée de votre situation.

Malgré mes protestations et menaces voilées, ce n'est qu'une fois passé le pic de la saison de Noël que j'ai reçu ce second email d'excuses, mais sans plus d'explications :

Merci d'avoir contacté notre équipe Programme Partenaire.
Nous avons consulté votre compte et effectué des recherches, nous avons procédé à la réouverture de votre compte clotûré par erreur.
Nous comprenons parfaitement votre réaction et vous prions de bien vouloir nous excuser pour le désagrément que cette erreur a pu provoquer.

Aucune explication supplémentaire n'a été fournie, cela ne s'invente pas ! Le même incident s'est reproduit 3 mois plus tard pour la même réaction de ma part et la même réponse standardisée du sponsor. J'ai ainsi pu constater que cette procédure de fermeture-réouverture de compte ne visait qu'à décourager les affiliés de réclamer le paiement de leurs gains. A cela il faut ajouter une réouverture de compte incomplète pour empêcher les règlements, des lettres de réclamations restées sans réponse... Le secret de cette incroyable réussite financière repose toute entière sur la tromperie des affiliés. Je recommande avec force et conviction à tout Webmaster de bon sens de se tenir à l'écart de ce sponsor.

Toute la relation entre le sponsor et ses affiliés repose sur un discours trompeur. Le sponsor poursuit un double objectif. Le premier, évident, revient à faire supporter ses coûts de commercialisation par ses affiliés. Le second, beaucoup plus subtile, consiste à "détourner" le traffic de l'affilié une bonne fois pour toutes lorsque c'est possible. Pour comprendre cela, suivons le déroulement d'une vente. L'affilié place un code html sur sa page Web. Ce code appelle l'affichage d'une image placée sur le site du sponsor. A chaque affichage de l'image par le navigateur du visiteur, le sponsor place son cookie sur le disque dur de l'internaute. Mais pour autant qu'on le sâche, une image n'a jamais eu la faculté de placer un cookie ! C'est qu'il y a une bidouille. Lorsque l'explorateur du visiteur appelle l'image du site sponsor, un programme s'exécute en premier. Il place un cookie et interroge dans la foulée le navigateur du visiteur sur sa page référente. Cette information permet au sponsor de connaître les mots-clefs qui ont induit le clic ou la vente de l'affilié. Cette préciseuse information est consignée sur le serveur du sponsor dans sa base de données. Il ne lui reste plus qu''à lire et analyser les informations agrégées de l'ensemble de ses affiliés pour élaborer une stratégie de détournement du trafic de ses affiliés. En simplifiant, cela donne le tableau suivant :

Origine du trafic Mot-clef
Nbre d'impressions
Nbre de clics
Nbre de ventes
Ventes / 1000 impressions
Elgoo.fr accessoires wii
1 340 000
970 000
230
0,17
tartampion.com équipement wii
1 750 000
1 280 000
105
0,06
Oohay.fr équipements wii
450 000
250 000
210
0,46

Le sponsor va désormais se positionner pour raffler le gros du trafic rentable provenant du mot-clef "équipements Wii" au pluriel de chez Oohay sans toutefois toucher au mot-clef "équipement Wii" au singulier de chez Tartampion. L'affilié n'a rien vu et ne se doute de rien ! Il constate simplement la baisse de rentabilité progressive de son site. Et le sponsor se constitue une base de connaissances sur le dos de ses affiliés sans jamais les indemniser. Notez bien que cette pratique est systématique chez tous les grands sponsors et régies publicitaires du Web. NE JAMAIS PLACER UN CODE OU UNE IMAGE EXTERNE SUR SON SITE. On ne vous répétera jamais assez qu'on vous prend pour des imbéciles. Seuls les referrers, c'est à dire les sites qui envoient du trafic comme Elgoog ou Oohay, se placent au dessus d'un tel soupçon.

Et on pourrait s'étendre des heures durant sur les pratiques abjectes du Web avec Canf, Yabe et acolytes. Aucune performance ou éthique ne démarque l'un de l'autre positivement une fois passée l'étape de l'inscription à leurs programmes d'affiliation.

Rentabilité du Web

Revenons quelques instants à la notion de vente à perte. Il faut 3 millions de visiteurs pour générer un SMIC, et il faut dépenser 4 SMICs pour entretenir un site de 3 millions de visiteurs mensuels. Typiquement, une telle équipe se composerait de deux jeunes développeurs rémunérés aux environs de 1,5 fois le SMIC chacun + 1 personne chargée de rédiger les contenus et effectuer les mises en page, sachant lire et écrire en 2 langues. Ceci est introuvable au SMIC mais remplaçable par 2 étudiants stagiaires à 1/2 SMIC chacun. Il faut préciser qu'une telle équipe, optimale au vu de ce que l'on constate sur le Web, ne peut devenir opérationnelle du jour au lendemain. Il lui faut d'abord construire le site et investir massivement en développements informatiques et en référencement sur une période préalable d'au moins 2 ans.

La vente à perte est interdite ! Alors comment les grands exploitants du Web s'en sortent-ils ? Ils n'ont que 3 alternatives à leur disposition. Nous avons vu la première qui leur permet de faire supporter leurs frais commerciaux par une masse diffuse d'affiliés naïfs et désorganisés. La seconde consiste à délocaliser l'entretien et les mises à jour de leurs sites pour bénéficier d'une main d'oeuvre au coût horaire inférieur à 1 euro. Ils opèrent en Inde, en Chine et en Afrique avec des coûts salariaux horaires de 30 centimes exempts de charges sociales. Mais cet avantage comparatif d'esclavagiste ne suffit pas. Il leur faut également jongler avec les imputations comptables pour passer une partie de leurs frais d'exploitation en investissements amortissables sur plusieurs années et, ainsi, faire apparaître une marge d'exploitation bénéficiaire. Ils font également supporter leurs coûts de fonctionnement par d'autres entités de leurs entrerprises comme, par exemple, une division informatique non dédiée au Web, un SAV et un service marketing.

Alors quel est leur intérêt s'ils ne gagnent pas d'argent ? Là encore, les réponses sont simples et de bon sens. Les entreprises agissent selon des considérations stratégiques commerciales de long terme. Et leurs préoccupations sur les moyen et court termes sont d'ordre financières.

Côté commercial, il se coloporte depuis plusieurs années l'idée que le Web prendra un jour une importance primordiale dans la vente de détail. Mais ce n'est pas encore le cas puisque les ventes aux particuliers via le Web représentent moins de 3% des ventes de détail en France et à peine 4% aux USA. Il est néanmoins facile de comprendre que les entreprises considèrent qu'elles ne peuvent pas prendre le risque de se passer d'une présence sur le Web. Elles y établissent des contacts directs avec leurs consommateurs et se positionnent pour vendre leurs produits dans les années avenirs. Certes des lois sanctionnent la pratique de la vente à perte. Mais aucune entreprise ne dénoncera l'autre tant qu'elles le font toutes et que les petits commerçants, qui en sont les principales victimes, ne réagiront pas.

Pour l'aspect financier, ce sont la bourse, les "Business Angels" et les banques qui mènent le jeu. Le cours des actions des entreprises du Web se paie, selon les périodes, entre 35 et 60 fois les bénéfices contre 15 à 22 fois pour les actions classiques. Cet écart s'explique par un hypothétique futur où ces entreprises gagneront beaucoup d'argent. En d'autres termes, on escompte la croisssance des bénéfices pour l'intégrer au prix de l'action. Tant que perdure cet optimisme, les entreprises trouvent facilement une manne d'argent frais pour combler leurs pertes. Mais le vent a quelque peu tourné ces derniers temps. Les actionnaires sont devenus plus exigeants et prudents, les cours se sont effrondrés et les banques ont provisionné des pertes colossales pour couvrir leurs investissements douteux dans la nouvelle économie. L'argent ne coule plus à flots et les grands opérateurs n'ont désormais d'autre choix que de procéder à une délocalisation forcenée de leurs activités. C'est la tendance actuelle du Web et probablement celle des prochaines années.

Tendances du Web

Le Web n'a pas de frontière et les sponsors recrutent où bon leur semble au meilleur offrant. Un Webmaster chinois vit comme un roi avec 15€ par jour. Et en Inde, 10€ suffisent. Ainsi, si l'on a raison de croire que le futur des ventes de détail se trouve sur le Web et qu'elles seront de plus en plus souvent administrées depuis les pays du tiers-monde au détriment de plusieurs millions d'emplois locaux, alors la France, l'Europe et l'Occident peuvent redouter la paupérisation accélérée et massive de leurs populations. Avant mon prochain article, on constatera sans doute qu'il faut 5 millions de visiteurs pour financer un malheureux SMIC et que 5% des ventes de détail ont lieu sur Internet.


Vous avez lu cet article et votre moral est intact !

Vous êtes peut-être un webmaster en puissance.

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